On m’a préféré un vendeur de rêve… il a vendu du rêve, oui, et puis plus rien
Petite chronique amère mais lucide sur les règles absurdes du marché et sur ce moment magique où un client préfère le fond de teint à la fondation.
Intro : on m’a préféré un vendeur de rêve…
Le rendez-vous qui sentait bon…
Tout avait bien commencé. Comme souvent. Premier échange, bonne écoute, belles questions, un sourire sincère de leur part et cette phrase magique : “Franchement, on sent que vous savez de quoi vous parlez.”
Ah… ce moment de grâce où tu crois encore que la compétence est un critère de sélection.
Je leur avais expliqué le plan, le timing, les risques, les choix techniques, le pourquoi du comment. Trente ans de métier, compressés en une heure de discussion claire. Pas une promesse en l’air, pas de jargon, pas de “synergie agile” ni de “scaling à impact”.
Juste le taf. Juste la réalité.
Et eux, en face, tout sourire, notant, hochant la tête. Je suis sorti de là en me disant : “C’est bon, ils ont pigé. Ils veulent du sérieux.”
…et puis le silence.
Trois jours. Puis cinq. Puis un mail :
“Merci beaucoup pour votre temps et votre expertise. Nous avons finalement décidé de travailler avec une autre personne, mais nous vous remercions pour cet échange très enrichissant.”
Traduction : ils sont partis avec le gars qui avait un joli site en une page, une vidéo avec du piano triste et des punchlines comme “Je vous aide à incarner votre plein potentiel digital.”
Un vendeur de rêve. Qui, effectivement, a vendu du rêve.
Et puis… plus rien.
La tyrannie du paraître
Aujourd’hui, faut savoir se vendre avant de savoir faire
On en est là. Le prestataire idéal, c’est plus le type ou la nana qui sait faire, c’est celui ou celle qui sait briller. Il faut cocher les cases de la séduction visuelle et narrative. Avoir un branding “aligné”, des visuels “engageants” et idéalement un compte Insta où tu poses dans un café avec un MacBook et un air concentré.
Parce que si tu n’es pas instagrammable, comment veux-tu être crédible ?
Tu crois que je plaisante ? Il y a un type que j’ai vu décrocher un contrat à six chiffres parce qu’il avait une bio LinkedIn qui commençait par “je transforme les intuitions en stratégies de rupture.” Rien que ça. Je ne suis même pas sûr qu’il sache ce que ça veut dire. Mais ça sonne bien.
Le fond ? On verra plus tard. D’abord, fais-nous rêver.
Quand la compétence devient un détail
Les clients, faut les comprendre aussi. Ils sont dans un tunnel de stress, de FOMO, de pression de la direction ou de leur propre ego. Alors quand ils doivent choisir, ils veulent être rassurés. Et dans leur cerveau, rassurant ne veut plus dire compétent. Ça veut dire cool. Propre. Sexy. Influent.
Ils choisissent comme on swipe sur Tinder. Tu peux avoir vingt ans de savoir-faire, si t’as pas de belle photo de profil, tu passes à l’as.
Et le plus ironique ? C’est qu’eux-mêmes n’assument pas ce fonctionnement. Ils te diront toujours qu’ils veulent “des résultats”. Mais dans les faits, ils veulent surtout “ne pas se tromper socialement”. Choisir un prestataire qui a l’air compétent, c’est une forme d’assurance. Même si ça foire, ils pourront dire : “Ben quoi, il était super bien présenté.”
Welcome to la startup nation du vent
Tu connais ce moment dans les conférences où un type monte sur scène avec un micro casque et commence par dire “Je vais vous raconter une histoire…” ?
C’est à ce moment-là que tu sais que tu vas entendre du vent. Bien emballé, mais du vent.
Et ce vent, aujourd’hui, il fait tourner l’économie des indépendants. Ceux qui percent, ce sont les as du personal branding, pas les techniciens. Les rois du pitch, pas les artisans. Le marketing de soi a remplacé le marketing du savoir-faire.
On en est à un stade où avoir bossé vraiment, c’est presque suspect. “Comment ça, t’as pas eu le temps de faire une vidéo YouTube pour chaque cas client ?”
Ben non, j’étais occupé à faire le boulot, en fait.
Le prestataire invisible
Le gars compétent, celui qu’on ne voit pas
Il existe une caste de prestataires qu’on appelle les bons. Ceux qui ont résolu des problèmes réels, dans le silence. Ceux qui n’ont pas besoin de buzz, parce qu’ils ont des résultats. Ceux qui pourraient te montrer des dizaines de cas clients, mais qui ne l’ont jamais fait, parce que leur job, ce n’est pas d’exhiber, c’est d’exécuter.
Ces gens-là, on les entend peu. On les voit peu. Et du coup, on les oublie.
Le savoir faire a moins d’impact que le faire savoir !
Le client les consulte parfois, comme on consulte un médecin en urgence. Et puis il repart voir le type qui a un joli PowerPoint. Parce que le médecin t’a dit : “Va falloir arrêter le sucre et faire du sport.”
Et l’autre t’a dit : “Tu peux tout avoir, sans effort. Mange des graines !”
Devine lequel on choisit.
La malédiction de la transparence
Je l’ai vu cent fois. Tu veux être honnête : tu dis qu’il faudra trois mois, pas deux semaines. Tu expliques que le résultat dépendra aussi de leur implication. Tu ne promets pas la lune, tu proposes un plan.
Et là, ça se voit dans leurs yeux. Tu les fatigues.
Face à toi, y’a le vendeur de rêve qui dit : “T’inquiète, on va cartonner.”
Il ne connaît rien au dossier, mais il y croit. Et il te regarde droit dans les yeux.
Il a le sourire. Le vocabulaire. Le slide.
Et il rafle le contrat.
Pourquoi ce n’est pas près de changer
C’est tentant de croire que le marché va “mûrir”. Qu’un jour, les clients vont comprendre que le paraître est un mirage. Mais soyons honnêtes : on est tous humains. Et humains, ça veut dire biaisés.
On préfère ce qui brille. On veut y croire. On aime les discours qui nous flattent.
On veut une solution simple à un problème complexe.
Et tant que les vendeurs de rêve savent s’adresser à ces émotions-là, ils auront une longueur d’avance. Pas sur le fond. Sur le contrat.
Les rescapés du rêve
Quand le retour à la réalité pique un peu
Parfois, les clients reviennent. Blêmes, abîmés, avec dans les yeux cette fatigue qu’on ne voit que chez ceux qui ont trop cru à trop de promesses. Ils t’écrivent en mode "Bonjour, on aurait besoin de reprendre les choses sur de bonnes bases…"
Ils ont dépensé un budget entier pour… quoi ?
Un site magnifique mais vide.
Une stratégie social media sans contenu.
Une campagne "d’influence" qui a généré trois likes, dont un de la cousine du prestataire.
Ils ont voulu la fusée. Ils ont eu le pétard mouillé.
Ceux qui reviennent… et ceux qu’on ne revoit jamais
Le pire, c’est que tous ne reviennent pas. Certains ne comprennent même pas ce qui s’est passé.
Ils changent juste de prestataire, en reprenant les mêmes critères absurdes. Encore un vendeur de rêve. Encore un échec. Encore un pivot.
Et parfois… c’est trop tard.
La boîte ferme. Le projet meurt. Le “rebranding” devient un mail d’au revoir.
Tout ça parce qu’au départ, ils ont préféré l’emballage au contenu.
Et j’en ai vu beaucoup.
Le moment où la compétence redevient sexy
Et puis il y a ceux qui comprennent. Vraiment.
Ils se sont brûlés, mais maintenant, ils cherchent du concret. Des gens qui disent “ça va être long, mais ça va marcher” au lieu de “on va exploser les KPI en 7 jours”.
Ces clients-là, quand ils arrivent, tu les reconnais. Ils sont calmes. Ils posent des questions techniques. Ils veulent comprendre.
Ils veulent du boulot. Pas du buzz. Ils demandent des indicateurs fiables et vérifiables, pas du blabla.
Et là, tu te dis : “OK. On va pouvoir bosser.”
Conclusion : et si on arrêtait de se raconter des histoires ?
Je ne t’écris pas ça pour râler (enfin… pas que 😅). Je t’écris ça pour poser les choses. Pour dire que oui, le marché fonctionne comme ça. Et que c’est pas la peine de lutter contre la gravité.
Tu veux continuer à être compétent ? Alors fais-le. Mais ne t’attends pas à ce que ça suffise. Parce qu’aujourd’hui, si tu veux être vu, entendu, choisi… il faudra aussi, parfois, savoir paraître.
Ou alors, fais comme moi. Travaille bien. Dors bien. Et regarde les vendeurs de rêve faire des stories et des posts LinkedIn avec 600 likes.
Un jour, leurs clients reviendront peut-être. Ou pas. Mais au moins, toi, t’auras pas vendu du vent. Et tu ne seras pas responsable des échecs de tes clients, mais de leurs succès !
Et ça, mine de rien, ça vaut plus qu’un micro doré et tous les likes et followers du cyberespace ! 🎤✨